Chaque année, les cœurs de l’industrie du disque battent à l’unisson le temps d’une soirée. Le 4 février dernier, les Grammy Awards 2024 ont récompensé les grands projets musicaux qui ont rythmé l'année passée. Qui sont les gagnants ? Quels artistes-interprètes se sont produits sur scène ? Vogue a compilé pour vous toutes les dernières annonces sur la 66e cérémonie à venir.
Par Jordan Bako
Les producteurs, de l'ombre à la lumière
Ce 4 février 2024, Jack Antonoff est entré dans la légende, presque autant que sa consœur et partenaire créative Taylor Swift. En effet, le producteur vient de remporter, pour la 3ème année consécutive, le titre de “meilleur producteur de l’année” aux Grammy Awards. Son nom est depuis bientôt 10 ans l’un des plus célèbres et demandés de l’industrie musicale ; il a travaillé avec Lana Del Rey, St. Vincent, Lorde ou encore Clairo. Mais sa carrière est contemporaine d’une mise en lumière inédite du travail des producteurs, dans tous les genres musicaux confondus. Si dans le rap, il est plus commun de parler de “beatmaker”, leur reconnaissance est tout aussi essentielle qu’elle est récente, que celle de leurs collègues du monde de la pop. C’est par exemple, une chanteuse comme l’Espagnole Bad Gyal, qui mentionne tous ses producteurs comme des collaborateurs officiels dans les titres de ses chansons, ou encore un producteur comme Eazy Dew (ou Sylvain Decayeux à la ville), connu pour son travail avec le rappeur parisien Josman, dont on reconnaît les morceaux grâce à l’annonce du nom du producteur dès les premières secondes (un processus devenu commun dans les années 2000, appelé le tag).
“Pendant des décennies, le métier de producteur était très secret, ce qui était alors lié à l’économie des années 80 et 90. Ils avaient des techniques très précises pour obtenir leur son. Après les séances en studio, ils effaçaient tous les réglages pour que personne ne puisse reproduire ce qu’ils faisaient, raconte Victor Lévy-Lasne, cofondateur du programme Mix with the Masters et du studio Rue Boyer. Puis, à l’aube des années 2000, les studios commencent à fermer. À l'ère du numérique, les disques ne se vendent plus et les labels coupent les vivres à la production des disques. En parallèle, avec ce même avènement du numérique, n'importe qui peut faire un disque avec un ordinateur et micro. Vingt ans plus tard, j’ai l’intuition que l’on revient à une volonté de qualité en termes sonores. Tu peux avoir tous les ordinateurs du monde, si ta prise est mauvaise, c’est foutu”.
© Mix with the Masters
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Pour l'amour du son
C’est quelques jours avant la prestigieuse cérémonie des Grammy Awards 2024 que l’on se rend au studio Rue Boyer. Victor Lévy-Lasne nous ouvre, Maxime Le Guil est encore en Californie. Tous deux sont devenus des figures incontournables de l’industrie musicale, et n’échappent plus aux allers-retours pour couvrir les grands rassemblements, à l’instar de l’un des plus grands salons de la musique (le National Association of Music Merchants Show) au sein duquel sont remis les Tech Awards, où le duo a remporté en janvier 2024 le prix du meilleur studio du monde : “On n’était même pas à la cérémonie, persuadé qu’on allait perdre…” avoue Victor Lévy-Lasne à demi-mot, tout en nous promenant dans toutes les salles du rez-de-chaussée. Elles sont nombreuses : pratiquement une par instrument, afin d’isoler au mieux chaque piste, chaque son. “Les studios classiques privilégient les grandes salles d’enregistrement et des régies plus petites, pour faire jouer un groupe entier et tous ses musiciens, mais c’est plus compliqué au niveau de l’acoustique. Avec notre dispositif, les musicien·nes peuvent jouer ensemble, mais on a ensuite le luxe d’isoler chaque partie”, explique-t-il en parcourant les différentes pièces, avant de s’installer dans la régie dite “A”, la plus grande, imaginée pour différents usages.
“On avait ce rêve fou, que des grands producteurs internationaux de passage à Paris pourraient venir ici”
Victor Lévy-Lasne
Quand on l’interroge sur les étapes qui l’ont mené jusqu’à construire un studio dans le 20ème arrondissement parisien, Victor Lévy-Lasne le confesse : le processus était long. Très long. Mais la volonté d’imaginer un lieu physique, un point de contact, était là depuis des années déjà : “Ce lieu était une friche d’une centaine d’années, tout était à reconstruire. Mais le potentiel était immense, avec la taille de ce rez-de-chaussée, et l’étage pour bâtir des bureaux. C’était exactement ce que l’on voulait : des bureaux pour notre équipe, et un studio pour Maxime [Le Guil], qui est lui-même producteur”. Les travaux débutent alors en pleine pandémie mondiale. Le duo décide d’y mettre toute son énergie, pariant sur l’utilité du studio pour leur programme de rencontre de producteurs, Mix with the Masters. Interrogé sur les financements d’un tel projet, Victor Lévy-Lasne sourit : “On est endettés jusqu'à nos petits enfants ! Ce studio, c'est à perte. Ouvrir seulement un studio d'enregistrement en 2024, notamment dans une ville comme Paris où l'immobilier est très cher, c'est presque impossible. S'il n'y a pas de projets en synergie à côté, ça n'a aucun intérêt. Et nous, on avait ce rêve fou, que des grands producteurs internationaux de passage à Paris pourraient venir ici”.
Le producteur Jack Antonoff travaille dans le studio Rue Boyer@ Mix with the Masters
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“Ramener Hollywood à Belleville”
La première personne à inaugurer le studio Rue Boyer n’est nulle autre que Jack Antonoff, en 2022. L’Américain travaille alors sur Midnights, sacré aujourd’hui meilleur album par les Grammy Awards 2024, mais aussi sur Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd, le dernier album de Lana Del Rey, également nommé meilleur album de l'année aux Grammys. “J'ai vécu à Paris pendant cinq mois, nous explique Antonoff, de passage en France lors de la Fashion Week de janvier 2024. En arrivant ici, c'est un heureux hasard, je connaissais ces gars et je leur ai demandé s'ils connaissaient des studios ici. Ils m'ont dit qu'ils venaient de terminer le leur. J'ai demandé si je pouvais commencer le lendemain, ils ont accepté. J’ai tout de suite adoré cet endroit. J'avais l'habitude d'y aller à pied depuis le 8ème arrondissement, une sacrée balade ! Je pouvais apprécier tout ce Paris que je ne connaissais pas”. Victor Lévy-Lasne complète : “John Storyk, le designer du studio Rue Boyer, a aussi imaginé le studio Electric Lady, là où Jack Antonoff travaille à New York” . Plus tard, il plaisante : “Des fois ça m’amuse, j’ai l’impression qu’on ramène Hollywood à Belleville. Ils découvrent des quartiers qui ne sont pas touristiques, donc résolument authentiques, et très parisiens”. Jusqu’à générer les situations les plus cocasses : lorsque Rosalía décide de venir enregistrer son prochain single rue Boyer en décembre 2022, elle arrive directement depuis Londres, où elle vient de défendre son album Motomami devant 20 000 personnes, sur la scène de l’O2 Arena. Le problème ? Son tourbus est bien trop grand, et ne parvient pas à rentrer dans la rue : “Ils ont dû se garer devant le Franprix du coin, et marcher jusqu’à nous !”.
Depuis, les plus gros noms de l’industrie musicale se succèdent dans la rue Boyer, de Pharrell Williams, qui y prépare les bandes originales des défilés de la maison Louis Vuitton (dont il est depuis un an le directeur artistique), à l’équipe de Beyoncé, chargée de mixer sa tournée mondiale Renaissance. Plus récemment, c’est le compositeur et producteur américain Devonté Hynes qui passe ses journées dans le studio de Belleville. “On commence à avoir des gens qui nous contactent longtemps à l'avance pour des projets. Là par exemple, on est pris jusqu'en avril”, raconte Victor Lévy-Lasne. Mais en ce moment, leur ambition est ailleurs : “On aimerait mettre davantage en avant le travail des artistes productrices, comme Rosalía, Billie Eilish ou Caroline Polachek. Aujourd’hui encore, le public peut très facilement penser que les femmes ne sont que des interprètes, produites par des hommes blancs. C’est absolument faux ! Rosalía se produit vocalement, c’est-à-dire qu’elle sait se servir de Pro Tools [un logiciel de production musicale] et arrange sa propre voix. Les ingénieurs du son peuvent sortir de la salle quand elle travaille” poursuit le Français. Taylor Swift ne dirait pas mieux, elle qui a écrit, composé et produit ses 10 albums studio.
© Mix with the Masters
© Mix with the Masters
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